Une pratique de la médecine amazonienne au service de la psychanalyse
Propos introductif
La psychanalyse, et d’une manière générale, toute la psychologie clinique repose sur la capacité du sujet à parler pour, au moyen de cette parole, investiguer ses symptômes, explorer son vécu et ses ressentis. Conceptualisation et symbolisation sont ainsi les clefs de voûte de la cure analytique. Un sujet incapable de verbalisation ou de jouer avec des concepts simples, comme le rapport de causalité entre une souffrance et une inhibition ou encore l’influence du passé sur le présent, aura les plus grandes difficultés à avancer sur le chemin du mieux être et de la guérison, au moyen de ces approches.
Le mental et les capacités intellectuelles de la personne sont donc les précurseurs inévitables du travail psychanalytique, même si ce dernier, s’il est bien conduit, visera à dépasser ces sphères par trop superficielles. Mais sans même parler d’une frange de la population qui pourrait ainsi être exclue de ce genre d’approches curatives, les thérapeutes de la psyché savent depuis toujours les limites de ce mode d’accès verbal et mental à la problématique du sujet. L’illustration la plus criante de cette impossibilité du verbe à tout dire, et donc de la parole à tout atteindre dans l’individu, c’est la manifestation psychosomatique. Le corps parle. Le corps dit. Le corps sait. Des refoulements inatteignables, des blocages trop verrouillés s’expriment par défaut au travers de pathologies ou de problèmes physiologiques. Certaines orientations thérapeutiques comme l’hypnose ont donc décidé de « culbuter » psyché, en contournant les blocages inconscients. De même, les approches comportementalistes cherchent à passer par l’action pour faire évoluer l’état du sujet, sans résoudre ni confronter les origines subconscientes blessées du problème. Dans une autre veine, les approches psychocorporelles et –par exemple- la Gestalt-thérapie tentent d’adresser directement la réalité du corps pour soigner la psyché. Selon les cas et les personnes, ces outils peuvent fonctionner, et offrir des pistes intéressantes à la prise en charge de la souffrance de l’individu. Ma préférence, en tant que psychanalyste, va à la confrontation directe avec l’infini mystère qu’est Psyché, mais je me retrouve confronté aux mêmes limites que tous les autres thérapeutes : l’indicible ne se dit pas, l’inatteignable ne s’atteint pas, et quand le mental bloque, de connivence avec le subconscient qui protège ce qui est refoulé, le patient et la thérapie s’enlisent. Bien souvent, l’abrasion que provoque la durée de la cure psychanalytique suffit à traverser ces blocages. Mais n’y aurait-il pas d’autres moyens ? C’est là que la Médecine Traditionnelle Amazonienne (ci-après MTA) propose une ouverture passionnante.
J’évoquerai dans cet article la purge au Tabac, une des techniques curatives clef de la MTA. Je vais parler de cette plante, décrire certaines des modalités et règles de cette pratique, évoquer les bénéfices qui peuvent en être retirés, ainsi que le pont que je tente de bâtir entre cette médecine ancestrale exotique et notre vision occidentale moderne de la thérapie. Enfin, j’évoquerai certains risques liés à la rencontre entre ces deux mondes culturels et médicaux.
Le Tabac… et la purge
J’évoque ici la plante Tabac, vivante et entière, ou préparée à des fins médicinales. Dans le monde moderne, l’évocation du Tabac renvoie à la cigarette, à la maladie et à la mort. C’est donc à un changement radical de paradigme que je convie le lecteur, changement qui commence par la prise en considération globale d’une plante, et non d’un de ses produits dérivés imbécile et toxique. La coca, magnifique plante aux immenses vertus médicinales pâtit du même réductionnisme consumériste et addictif. Dans les deux cas, ces usages dévoyés et dangereux sont des symptômes de notre société malade : addictions, fuites de la réalité, quête destructrice de la performance. Autant de maux que les plantes ainsi détournées peuvent réguler et parfois guérir, si employées respectueusement et correctement.
Le Tabac est « le patron ». Il est le centre axial de la MTA et il est, dans la plupart des traditions que j’ai rencontrées, non seulement une plante maîtresse, mais sans doute LE maître des maîtres. Dans les traditions amazoniennes, les plantes sont classifiées selon une hiérarchie. Nulle plante est sans importance, mais certaines ont des fonctions plus élevées. Au sommet de cette pyramide se trouvent les plantes dites maîtresses, en ceci qu’elles soignent et enseignent aux humains. Le lecteur occidental percevra qu’un sujet à part entière mériterait d’être développé ici : l’esprit cartésien comprend qu’une plante soigne, mais qu’elle enseigne… ?! Je ne m’avancerai pas sur le thème de la personnification ou de l’esprit des plantes dans cet article. Sachez simplement que dans la tradition amazonienne, les plantes possèdent un esprit et une personnalité, et qu’à force de les consommer, de les fréquenter, d’en observer et vivre les effets, on peut constater des orientations clairement différenciées selon les plantes. Des orientations à même de caractériser une forme de personnalité.
Le tabac est une solanacée se présentant sous deux formes proches : Nicotiana Tabacum et Nicotiana Rustica. C’est une plante de feu : elle requiert un fort ensoleillement pour croitre, et pique un peu au goût. Elle « brûle » aussi les intoxications, les pensées parasites, bref, elle possède un feu purificateur, si elle est bien employée. Ce feu devient destructeur, lorsqu’employé de manière dévoyée, comme par exemple, en la fumant. C’est une plante masculine, qui restaure la verticalité, qui impose la loi et le cadre (symbolique et biologique) à celui qui la consomme, particulièrement en purges. Le Tabac purifie donc les structures, physiques comme psychiques, et apporte clarté et discernement. Ces affirmations reposent aussi bien sur mon expérience personnelle en tant que consommateur de cette plante, que sur mes observations cliniques de thérapeute l’employant et la prescrivant, ainsi que sur une cohérence jusque là non démentie avec ce qui est apporté par la tradition amazonienne. L’extrême complexité chimique de cette plante (dont beaucoup d’alcaloïdes peu ou pas connus) semble même confirmer, comme un clin d’œil de la biologie moderne vers les traditions chamaniques, sa nature particulière et son rang parmi les plantes de la forêt.
La purge au Tabac est un protocole de purification très simple et ritualisé. Par ritualisé, il faut entendre qu’il possède une ouverture et une clôture, et que ce qui se passe durant le rituel est normé par divers contenus propres à la MTA. L’aspect le plus marquant pour l’impétrant découvrant ces pratiques est sans doute la dimension chantée du travail, la majorité des pratiques de MTA reposant sur un arsenal de chants sacrés et thérapeutiques appelés Icaros. Les fréquences vibratoires très particulières de ces chants guident et favorisent le travail et, dans une certaine mesure, s’associent et se coordonnent avec les plantes (ici, le Tabac) pour accroitre la profondeur du champ thérapeutique. Des études ont déjà été conduites sur les fréquences vibratoires de ces Icaros (dont Bustos, S. – 2004), mais le sujet mérite d’être approfondi, notamment sur un plan neurologique. Quant à la finalité matérielle de la purge, elle est d’opérer un nettoyage, par l’activation de la fonction émétique, consécutivement à l’absorption d’une préparation liquide de jus de Tabac. Un certain nombre de règles alimentaires et comportementales, propres à la MTA et pour certaines spécifiques à la purge au Tabac, doivent être respectées quelques jours avant la purge, et également à postériori de cette dernière. Ces règles, notamment le jeûne le jour même de la purge, permettent de faciliter le travail, en réduisant les toxines présentes dans le corps. Pour le jeûne, sa fonction est aussi (et surtout !) de venir à la purge avec un estomac vide, pour que lors du vomissement, seul du liquide soit expurgé, et que le Tabac n’ait pas à commencer par évacuer un bol alimentaire. Il me paraît bon de préciser ici que le vomissement purgatif est très différent du vomissement réactionnel à une pathologie ou à un empoisonnement. La fonction émétique est une fonction naturelle, et sa dimension purgative semble l’être tout autant : tous les mammifères de notre planète se purgent, à l’exception du cheval pour des raisons physiologiques. Chats et chiens avalent régulièrement des plantes herbacées pour se purger, et les grands singes semblent même avoir développé une connaissance de diverses plantes, permettant d’obtenir divers effets purgatifs et curatifs. Les Indiens d’Amazonie ont simplement perfectionné et amené cette fonction naturelle à l’état de science médicinale. Et nous parlons ici de milliers d’années de pratique et d’ajustement des processus.
Purge et psychanalyse
La purge au Tabac s’inscrit sans discontinuité dans un processus thérapeutique tel que celui proposé par la psychanalyse. Symboliquement, un travail d’analyse consiste déjà à identifier et « sortir » les éléments bloquants qui encombrent le sujet dans sa réalisation personnelle (individuation). A l’identique, la purge propose de « rendre », dans tous les sens du terme, ce qui pollue, verrouille ou bloque la personne. Ici, comme dans toute les pratiques de MTA, il n’y a aucune distinction entre les plans physique, psychique et spirituel ou énergétique. Bien entendu, quand je mentionne ici la spiritualité ou les énergies, ont voit bien la rupture avec le cartésianisme scientifique qui se marque. Pourtant le regard condescendant de la science change, notamment au vu du sens psychosomatique inhérent à cette pratique : nettoyer le corps semble nettoyer, ou tout du moins bénéficier à la psyché. Un corps sain dans un esprit sain prônait Homère. Sans le connaître, les indiens de la Selva (forêt, en espagnol) sont parvenus au même précepte, au point que l’esprit et le corps ne se distinguent plus, et que leur médecine ne sait soigner que le tout. Mais ce qui attire de plus en plus de médecins de tous bords et de scientifiques vers cette pratique, ce sont les résultats curatifs obtenus. Je vais commencer par aborder la partie qui me concerne le plus directement, en tant que psychanalyste : les effets sur la psyché et sur la cure analytique. J’évoquerai ensuite les effets somatiques constatés. Je tiens à situer mon propos dans une observation clinique, et non dans une indémontable probité scientifique. Des projets d’études sur les marqueurs physiologiques pré et post purge au Tabac sont en préparation, mais ici je ne partage que mes observations de terrain et mon expérience personnelle de thérapeute.
La purge est un espace thérapeutique, déterminé temporellement et géographiquement. Ce qui s’y passe, ce qui s’y joue est donc systématiquement signifiant pour le sujet. Les rapports humains, la relation thérapeutique, la guidance au travers du rituel et des divers composant du protocole curatif, la posture du patient face à l’expérience, avant, pendant et après : tout fait sens et peut servir à nourrir et éclairer le travail psychanalytique. Ceci sans même parler de l’effet de la purge elle même, et sans prendre en compte l’élément supplémentaire qui participe fortement à l’orientation thérapeutique du tout : le Tabac.
L’espace de la purge est donc une condensation temporaire et artificielle du travail thérapeutique. Le patient vient y faire quelque chose de précis, quelque chose pour son propre bien, mais quelque chose ayant un coût objectif, et quelque chose qui, s’il est porteur de promesse d’aller mieux, passe par un effort, bref, quelque chose de momentanément désagréable. Personne à ma connaissance n’aime en soi boire, puis vomir du jus de tabac. Face à cette difficulté, le sujet se trouve confronté à ses limites, à ses résistances. Il peut donc déjà y apprendre beaucoup. Mais en plus, le rapport au thérapeute se trouve lui aussi activé et amplifié : celui qui administre le Tabac guide et aide, il accompagne, mais seul l’individu peut agir concrètement et traverser cette épreuve pour en sortir grandi. Toute la réalité de la psychanalyse est déjà là, réduite à quelques heures. Transfert et contre transfert sautent au yeux, et le thérapeute doit être parfaitement conscient de ce qui se joue dans la purge, tout comme dans l’analyse, faute de quoi des errements peuvent se faire jour. Jeux de pouvoir et ego-trips guettent bien des chamans peu enclins à la remise en question. Le thérapeute doit donc être conscient de ces enjeux (pour lui comme pour le patient), mais mieux, il doit être capable de récupérer cette matière, pour pouvoir l’utiliser dans le cadre plus classique de l’analyse, et en faire bénéficier l’individu. C’est déjà un des bénéfices extraordinaires de la purge, une des productions qui enrichissent le cheminement analytique, et ce bénéfice repose seulement sur le setting, le cadre et le rapport humain. En tant que psychanalyste explorant le point de jonction entre thérapie classique et purge, je sens qu’un champ sémantique et théorique s’offre à l’investigation et reste à bâtir, déjà en en ne considérant que les parallélisme et complémentarité des modalités des deux outils thérapeutiques. Mais si cadre et setting sont agissants et assez facilement compréhensibles pour un esprit occidental, il ne faut pas oublier l’action puissante et efficace du Tabac. J’avertis ici le lecteur trop cartésien : cette action résiste farouchement à l’enfermement conceptuel.
Si le Tabac est toujours la même plante, son effet n’est jamais identique d’une purge à l’autre. De même, les paramètres techniques de la préparation du jus de Tabac sont toujours strictement les mêmes (températures, temps de cuisson, plante issue du même lot…etc), mais les jus varient dans leurs force et dans leur… nature. Plus ou moins profond, plus ou moins marqué en tanins, en arômes, plus ou moins secouant, je ne m’explique toujours pas, après des années de pratique, l’ampleur du delta d’un jus à l’autre. A croire que le Tabac s’adapte à la purge et aux purgeurs… par anticipation. Le psychanalyste que je suis savoure la dimension psychotique que de tels propos pourraient amener à inférer. Mais face à la MTA, l’ouverture est la règle, tant tout peut vite paraître décalé, tant les paradigmes sont différents.
Il m’est donc impossible de systématiser ici l’effet du Tabac. Tout le monde vomit, mais tout le monde vit des choses différentes, et également différentes d’une purge à l’autre. Qu’est ce qui est vécu, ou parfois révélé ? Certaines personnes ont des prises de conscience sur des thématiques précises, concrètes, ou plus générales, existentielles. Ces prises de conscience peuvent provenir clairement de l’intérieur, du subconscient du sujet, et être perçues comme telles par celui qui les vit, mais elles peuvent aussi paraître venir de l’extérieur, comme si quelqu’un s’adressait à la personne. Archétypes, projection psychiques, esprit du Tabac… il me semble important de ne pas statuer et d’accueillir le vécu du sujet pour ce qu’il est, avec respect. Bien évidemment, l’orientation interne ou externe de ces caractérisations, tout comme les colorations particulières que chacun leur donnera, sont du pain béni pour le psychanalyste.
D’autres personnes vont revivre des épisodes de leur passé, ou vont simplement être submergées par des émotions, parfois reliées à un événement, parfois se déversant dans de simples décharges, sans sens immédiatement perceptible. Sens qui sera ensuite investigué, ou pas, selon l’utilité pour le patient, et selon son désir.
Il arrive aussi régulièrement que les gens ne perçoivent rien, si ce n’est des sensations physiques, et traversent l’effort que représente la purge uniquement pour ce qu’il est. Là aussi, ce silence apparent de Psyché doit être accueilli et respecté, et bien souvent les prises de consciences ou évolutions se manifesteront dans les jours ou les nuits qui suivent. Car le Tabac possède une autre fonction utile au psychanalyste : il active la fonction onirique.
Enfin, la tradition chamanique caractérise le Tabac comme étant une plante maîtresse, qui soigne et enseigne, et il arrive régulièrement que des personnes témoignent d’enseignements, relatifs à des manières de faire, à des comportements à corriger, ou à des questions à se poser. Ces enseignements peuvent être entendus ou reçus au moyen de rêves, mais ils peuvent aussi être entendus directement par la personne, durant la purge ou dans les heures qui suivent, comme si quelqu’un communiquait avec eux. D’autres fois, le sujet sait, sans rêves ni voix. Il sait, comme une évidence oubliée et revenue à la surface de la conscience.
Il serait possible de développer « ce que le tabac fait vivre » à chacun ab infinitum, tant l’expérience est individuelle et variable. En tant que thérapeute, il me semble important de souligner ici les caractéristiques communes, proposées par la rencontre avec cette plante étonnante, dont l’usage est si dévoyé sous nos latitudes. Que l’expérience soit positive, extatique même, ou que le vécu durant la purge soit plus négatif, c’est à dire fait de ressentis plutôt sombres et difficiles, la proposition du Tabac est toujours cohérente avec la réalité du patient. Comme au cours de la psychanalyse, les moments de blocage concourent à l’évolution de la personne, en ceci qu’ils lui donnent à connaître et à vivre « ce qui ne va pas ». Et bien souvent, ces moments indiquent ou donnent des indices sur l’origine du trouble. Faire face à cette part d’ombre, l’accepter, la traverser et en tirer les leçons de vie utiles est certes une épreuve, mais aussi un passage obligé. La force du Tabac et son coté structurant et déterminé (comme un père à la fois bon et rigoureux) sont bien souvent des recours précieux pour s’approcher de ces zones obscures. Une autre de ces caractéristiques communes aux expériences de purge est que rien n’est donné à vivre qui soit hors de portée du patient. Ce qui est vécu ou adressé est non seulement cohérent, mais c’est accessible et à même d’être résolu ou intégré par l’individu. Là encore, je laisse chacun libre d’interroger ce qui régule ainsi l’expérience : la psyché ? L’esprit du Tabac ?, Dieu et les anges ? La relation de confiance patient-thérapeute ? Plus je pratique la MTA, plus je suis enclin à préférer les réponses intégratives qui mettent du « et » entre les propositions, aux réponses exclusives, qui y mettent du « ou ».
Cette justesse, qui parfois peut être secouante, est toujours accompagnée de « l’étrange bienveillance de la plante », pour reprendre les mots prononcés récemment par une purgeuse. Une plante bienveillante… encore un concept difficile à faire coïncider avec notre culture qui traite tout comme objet, du végétal à l’animal. Pourtant, je peux témoigner de progrès et de bascules dans le cheminement thérapeutique de patients, et de visiteurs libres, venus découvrir le Tabac. Certains aspects de la dépression s’améliorent, l’estime de soi remonte. Fonction initiatique de l’épreuve, pouvoir curatif de la plante, renforcés par la contention thérapeutique ? J’ai vu des embellies sur des cas de stress post traumatique, sur lesquels je me sentais impuissant. Pourquoi cela agit-il ? Je ne peux que hasarder des hypothèses, mais j’aimerais savoir, ou au moins explorer ce qui peut l’être, au moyen des outils technologiques et scientifiques que nous possédons aujourd’hui. Il faudra que la science accepte de laisser subsister une bonne part de mystère, probablement par l’adjonction d’un concept lui permettant de se retirer. Elle a bien accepté que ce soit le cas avec –par exemple- la notion de psyché, qui définit « quelque-chose » sans pour autant l’expliquer.
Mais au cours d’une purge, le corps n’est pas laissé en reste, et des effets somatiques impressionnants m’ont été donnés à constater, parfois avec la présence de médecins. Des effets puissamment améliorants peuvent ainsi être suspectés -il faudrait là aussi se pencher sérieusement et scientifiquement sur la question- sur la maladie de Lime, et sur le syndrome d’Epstein Barr. Des dépendances aux médicaments et au tabac se sont vues réduites par purge, et des problèmes cutanés et articulaires aussi. D’une manière générale, la fatigue physique et psychique est améliorée, parfois dès le lendemain de la purge, et souvent dans les jours qui suivent.
Néo ou pseudo-chamanisme et contention thérapeutique
On voit bien, à la lecture de ce qui précède, que cette médecine et ses pratiques peuvent vite devenir des deus ex machina alimentant des pensées magiques et des délires new-age douteux. Psychique ou somatique, la MTA peut potentiellement agir sur tout, de surcroit en même temps. Panacée déresponsabilisant des pseudo thérapeutes peu scrupuleux, baguette de sorcier servant au profit de gourous prétendument éclairés… Cette médecine du fond des âges est trop forte et trop belle pour être laissée à des mains non expertes. Je m’explique : là bas, en Amazonie, le statut de thérapeute, de soignant est totalement inséparable de celui de chaman ou de curandero. Au point que cette intégration est non dite : si l’on consulte un chaman, un curandero, c’est pour se soigner. Leurs kushmas (vêtement rituel) et leurs plantes sont nos blouses blanches et nos stéthoscopes. Leur expertise est l’équivalent de notre science médicale. En traversant l’océan, la MTA devient un exotisme, teinté de curiosité philosophique ou anthropologique, de mystique et de spiritualité, souvent au rabais. La MTA provoque des choses, des mouvements nouveaux, intenses, pour l’occidental nourri d’hygiénisme et soigné aux antalgiques. Son intensité pousse tout un chacun à s’improviser chaman et à verser dans un libertarisme sans contrainte, expurgé de ce statut médicinal originel. Le chaman médicine-man devient chaman d’opérette lorsque l’on transpose cette médecine sous nos latitudes. Chaman d’opérette ou businessman avisé, mais la dimension de prise en charge de l’autre, de contention thérapeutique, non dite et ontologique au statut traditionnel, se perd. On n’y vient plus se soigner, on vient y vivre une aventure. Disneyland n’est pas loin. Or, c’est la dimension thérapeutique qui seule, me paraît offrir une traduction correcte et suffisamment sérieuse du statut de guérisseur/chaman dans notre réalité occidentale, et offrir protection au patient. Là encore le jugement n’est pas tant moral que de bon sens : les bonnes intentions de certains pseudo-chaman ne sont pas en cause. Leurs capacités à accueillir, protéger et faire croître l’autre le sont en revanche clairement. Je fais ici mention d’effets délétères constatés, de personnes mises en danger (très rarement avec le Tabac), puisqu’en effet, cette médecine est agissante. Imaginez l’impact d’un indien d’Amazonie sur sa tribu, s’il s’improvisait chirurgien après avoir été sauvé par une opération dans un service hospitalier occidental. Même avec les meilleures intentions du monde, ce serait catastrophique. Etre thérapeute est selon moi le garde fou incontournable, la condition sine qua none pour une transposition cohérente et rigoureuse des pratiques de la MTA chez nous.
Finalement, ce manque de considération, le sous-entendu que « ce ne serait pas vraiment » une médecine à part entière est ce qui risque de nous coûter le droit de recourir à cette médecine. N’importe qui tentant n’importe quoi, les gouvernements commencent à légiférer pour contenir la dérive. Ceux-là même qui prétendent servir cette médecine vont réussir à la rendre interdite.
Conclusion
Je relis cet article et je me rends compte du point auquel il est difficile de structurer un écrit, quand on parle de MTA, et plus particulièrement ici de purge. C’est sans doute cette difficulté qui rend cette médecine si belle : elle nous invite à nous ouvrir, corps et âme, à un regard sur le monde et sur la vie en rupture avec nos standards de pensée, consumériste, linéaire, causaliste. Ce regard frais, analogique, initiatique et instinctif me semble cruellement faire défaut à notre époque, surtout dans le soin et la médecine. Les laboratoires et les états veulent nous forcer à consommer plus de médicaments, plus de vaccins. Déléguer notre santé, inféoder notre bien être à des corporations dirigées par des intérêts financiers, est particulièrement déraisonnable, si ce n’est invraisemblablement dangereux. S’en remettre à la nature, à l’environnement qui nous permet de vivre, à « ce qui fait que nous sommes », est clairement plus durable et plus riche en expériences de vie. C’est aussi faire le pari de la confiance dans nos propres corps, c’est rétablir notre autonomie et valoriser nos capacités. Ce qui est vrai de nos capacités immunitaires l’est aussi pour nos capacités psychiques, et l’individuation de la personne humaine se joue aussi dans la manière dont toute l’humanité décide de se soigner. La MTA propose une voie objectivement libératrice et ouvrante, une voie sans brevets et sans actionnariat à satisfaire. Mais c’est une voie qui exige aussi rigueur et sérieux, une voie qui peut secouer et faire mal ou faire peur. La purge au Tabac illustre bien cela. On est loin du confort morne de la morphine et des anxiolytiques, mais la perspective de vie me paraît bien meilleure car elle s’accompagne précisément de la notion de responsabilité. Voici donc nos deux protagonistes : l’anesthésié et le purgeur. L’anesthésié est irresponsable : il n’est pas là. Le purgeur est responsable : il se détermine à chaque instant de la purge. Face à une douleur inutile, je suis bien évidemment pour l’anesthésie. Mais face à la vie ?
La question qui devrait, thérapeutes comme patients, orienter nos choix est la suivante : lequel des deux est le plus à même de ressentir la joie et le bonheur ?